Le legs révolutionnaire et les traces du XIXème siècle-le billet de Jean-Luc Boeuf
En dépit d’affirmations maintes fois répétées sur l’effacement des clivages politiques, la droite et la gauche semblent inséparables en France, au moment des élections tout du moins. A chaque rendez-vous électoral, national ou local, les analyses sont marquées par cet affrontement droite-gauche, provoquant alors ces « poussées de fièvre hexagonale » pour reprendre l’expression de l’historien Michel Winock. La décentralisation échappe-t-elle à ce phénomène ? A la veille de l’échéance régionale de la fin de l’année 2015, parcourons notre histoire depuis la Révolution pour analyser ce thème en trois épisodes. Premier épisode : le legs révolutionnaire qui vit les députés se positionner géographiquement sur les bancs de l’Assemblée, de droite à gauche, en fonction de leur positionnement politique. Leurs décisions, en ce temps de crise que furent les années 1789-1790, posent les premières pierres d’une gestion décentralisée en France, que le XIXème siècle poursuivra.
« 80 petits roquets plutôt que 15 gros chiens loups ». Les 44 000 communes se substituent aux paroisses, mais aucune n’est supprimée. Sous la pression de la guerre civile et de la menace des invasions étrangères, les Jacobins, partisans du centralisme, l’emportent sur les Girondins, plus favorables à l’expression des pouvoirs locaux. Mais on ne parle pas encore de décentralisation. La Révolution, bourgeoise, de 1789 découpe le territoire de façon rationnelle en 83 départements, mettant ainsi fin aux provinces et circonscriptions diverses qui se chevauchent et empêchent toute vision d’ensemble. La province est ainsi abolie, car totalement identifiée à l’Ancien régime.
Napoléon, les préfets et la nomination des maires. Le régime napoléonien va renforcer les tendances centralisatrices de la Révolution. Dans ces conditions, l’instauration du préfet va servir de pierre angulaire à la centralisation administrative au XIX° siècle. Cette tendance de fond confiant au préfet un très fort pouvoir de décision a priori vis-à-vis des pouvoirs locaux se poursuivra jusqu’à la fin du XX° siècle.
Les monarchistes, les proudhoniens et la nostalgie des provinces. Les monarchistes souhaitent renforcer le pouvoir central avant, éventuellement, de le décentraliser vers des provinces qui seraient recréées. C’est ainsi que la nostalgie des provinces de l’Ancien Régime va se teindre aux couleurs de la droite contre-révolutionnaire tout au long du XIX° siècle. Au début du XX° siècle, Maurice Barrès défendra une décentralisation seule à même de « rendre la vitalité à la Nation », alors que Charles Maurras plaidera pour une reconnaissance politique des provinces. Quant à la vision anarcho-libertaire de Proudhon est proche d’un certain provincialisme. En dénonçant l’absolutisme du droit collectif incarné par l’Etat moderne issu de la révolution jacobine, il plaide pour un système fédéraliste associant par un pacte des groupes souverains qui pratiquent une séparation systématique des pouvoirs. A la même époque, la complexité du rapport de la gauche à la décentralisation est qu’elle s’est conduite en opposition à certains idéaux de la Révolution. C’est d’ailleurs là une trame de fond pour analyser la décentralisation au XIX° siècle : la décentralisation s’est construite « en opposition à », et notamment en opposition au pouvoir central estimé trop fort.
Les libéraux, les républicains et leurs réflexions. Sous la Restauration et la Monarchie de juillet, le débat va être conduit par les orléanistes. Ces derniers pèseront dans l’adoption de lois en 1831 et 1833 pour les communes et les départements, esquissant une timide décentralisation. Quant aux républicains, leur mot d’ordre est simple : s’opposer et promouvoir les libertés, dont les libertés locales. Félicité de Lamennais met en avant une idée originale en 1848 en proposant à la commission chargée de préparer la nouvelle Constitution de discuter des libertés locales avant la dévolution du pouvoir central.
Jean-Luc Boeuf
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