MAJ 28/04/24
Jusqu'à une certaine date récente, seuls les agents non titulaires de droit public pouvaient prétendre au versement d'une indemnité compensatoire (1/10ème du salaire brut pour une année complète, en proportion pour le solde des congés) conformément aux textes statutaires en vigueur. Cependant, la jurisprudence européenne est venue renverser cette logique en 2009 sur la base d'une règlementation européenne de 2003 qui permettait aux agents titulaires n'ayant pas eu la possibilité d'exercer leur droit à congés de bénéficier, dans certains cas, d'une indemnité compensatrice.
Même si le droit français aujourd'hui n'a pas encore été modifié et que le pouvoir réglementaire ne s'est pour l'instant contenté d'une circulaire dans chaque administration tendant à l'application, la décision de la Cour de Justice s'impose aux juridictions nationales en cas de saisine d'un agent qui serait concerné.
Ce qui a par ailleurs déjà été le cas dans la jurisprudence française du Tribunal administratif d'Orléans en 2014 rappelant dans ses considérants que l'absence de transposition d'une règle européenne dans un délai imparti jusqu'au 23 mars 2005, ne peut être évoqué en contestation d'un recours d'un agent.
SOURCES JURIDIQUES
Article 7 de la directive européenne 2003/88/CE du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail indiquant un droit à congé annuel payé de 4 semaines minimum pour tous les salariés publics et privés et précisant notamment qu'une période minimale de congé payé ne peut être remplacée par une indemnité financière, sauf en cas de fin de relation de travail.
2 affaires jointes du 20 janvier 2009 (C-350/06 et C-520/06) et Arrêt C-277/08 de la Cour de Justice européenne (CJUE) ont confirmé le principe du droit au report des congés et du paiement des congés payés.
L'arrêt C-337/70 du 3 mai 2012 confirme l'extension de ces droits aux fonctionnaires.
La circulaire du Ministre de l'Intérieur du 8 juillet 2011 (COTB1117639C) demande aux Préfets d'informer les collectivités de ce nouveau droit à report des congés pour les fonctionnaires placés en congé de maladie pour tenir compte de la jurisprudence européenne et de la directive.
La circulaire de la Direction générale de l'administration de la fonction publique -DGAFP du 22 mars 2011 (BCRF1104906C) demandant aux chefs de service de l'Etat d'accorder systématiquement le report des congés annuels aux agents du fait d'un congé maladie.
La circulaire du Ministre des affaires sociales et de la santé du 20 mars 2013 (DGOS/RH3/DGCS/4B/2013/121) relative à l'incidence des congés pour raisons de santé sur le report des congés des fonctionnaires hospitaliers.
Réponse ministérielle du 3 janvier 2012 à la question N°120032 reconnaissant la nécessité de modifier la règlementation nationale et notamment le décret 85-1250 du 26 novembre 1985 relatif aux congés annuels des fonctionnaires territoriaux
La décision du Tribunal administratif d'Orléans -TA Orléans, N°1201232 du 07 janvier 2014 (parution au recueil Lebon) condamnant l'Etat au versement de l'indemnité de compensation de congés payés à un fonctionnaire de l'Etat placé en retraite invalidité.
NOUVEAU :
Le Conseil d’État a été saisi par le Premier ministre d’une demande d’avis portant sur la mise en conformité avec le droit de l’Union européenne des dispositions du code du travail en matière d’acquisition de congés pendant les périodes d’arrêt maladie. Le Conseil d’État a rendu son avis le 13 mars 2024, conduisant le gouvernement à déposer un amendement au projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en cours de discussion au Parlement.
Selon l’article L. 3141-5 du code du travail, les périodes pendant lesquelles l’exécution du contrat de travail est suspendue pour cause d’accident du travail ou de maladie professionnelle, prises dans la limite d'une durée ininterrompue d'un an, sont prises en compte pour l’acquisition de droit à congés payés.
En revanche, les périodes pendant lesquelles le contrat est suspendu pour cause d’accident ou maladie sans caractère professionnel ne donnent pas lieu à acquisition de droits à congés.
Ces dispositions ne sont pas conformes au droit de l’Union européenne, tel qu’interprété par la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE), qui exige que les salariés bénéficient de quatre semaines de congés payés au titre d’une année de travail, même s’ils ont connu, au cours de cette année, des périodes d’arrêt maladie non imputables à leur activité professionnelle. Plusieurs décisions récentes de la Cour de cassation mettent en exergue cette non-conformité du droit français avec le droit européen.
Aussi, pour mettre en conformité le droit du travail avec le droit de l’Union européenne, le gouvernement a sollicité l’avis du Conseil d’Etat au projet de loi portant de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne (DDADUE) en matière d'économie, de finances, de transition écologique, de droit pénal, de droit social et en matière agricole, examiné en première lecture à l’Assemblée nationale en mars 2024 après avoir été adopté par le Sénat en décembre 2023.
Dans son avis du 13 mars 2024, le Conseil d’Etat a rappelé que les normes européennes et internationales garantissent un droit à congé annuel payé de quatre semaines et que selon la Cour de justice de l’Union européenne, (voir son arrêt du 24 janvier 2012, Dominguez (C-282/10)), l’article 7 de la directive 2003/88/CE concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail ne fait pas obstacle « à une disposition nationale prévoyant, selon l’origine de l’absence du travailleur en congé de maladie, une durée de congé payé annuel supérieure ou égale à la période minimale de quatre semaines garantie par cette directive ».
Le Conseil d’Etat estime que le législateur n’est pas tenu, pour assurer la conformité de la loi française à la Constitution et au droit de l’Union européenne, de conférer aux périodes d’absence pour maladie non imputable à l’activité professionnelle le même effet d’acquisition de droits à congés que les périodes de travail effectif ou les périodes de suspension du contrat de travail liées à un accident du travail ou une maladie professionnelle. Seule s’impose à lui l’obligation de garantir que les dispositions relatives aux absences en raison d’une maladie non-professionnelle n’ont pas, faute de permettre l’acquisition de droits à congés, pour conséquence de priver un salarié d’au moins quatre semaines de congés annuels.
Le Conseil d’Etat considère que le dispositif de calcul des droits à congés acquis au cours d’une période d’absence pour maladie non-professionnelle, ne peut être appliqué pour le passé sans être encadré : le calcul des droits à congés non définitivement acquis résultant d’absences pour maladies non-professionnelles survenues lors de périodes de référence doit permettre d’atteindre vingt-quatre jours sans pouvoir le dépasser.
S’agissant du droit au report de congé acquis avant ou pendant un arrêt maladie, le Conseil d’Etat évoque l’abondante jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne relative à « l’exercice effectif » de son droit à congé par le salarié, lorsque, en raison de circonstances indépendantes de sa volonté, ce congé n’a pu être pris
- ni au cours de la « période de référence » correspondant à la période d’acquisition des droits et de leur utilisation normale,
- ni, lorsque la législation nationale le prévoit, lors d’une « période de report » débutant à l’issue de la période de référence.
Une période de report d’exercice de ces droits à congés non utilisés doit être prévue, dans des conditions garantissant que l’employeur met le salarié « en mesure d’exercer de manière effective son droit à congé ».
La période de report est de 15 mois et le début de cette période de report doit être postérieur à la date de la reprise du travail, ainsi qu’à celle à laquelle l’employeur aura, après son retour, informé le salarié des droits à congés dont il dispose et du délai dans lequel ces congés doivent être pris.
Le Conseil d’Etat a redit que les actions en paiement d’indemnités compensatrices de congés payés se prescrivent par trois ans et a observé que la Cour de justice de l’Union européenne admet au titre de dispositions transitoires d’adaptation au droit de l’Union des délais de prescription ou de forclusion à compter de l’entrée en vigueur de nouvelles dispositions législatives.
Le gouvernement a déposé un amendement qui assure donc la mise en conformité du droit du travail français avec le droit de l'Union européenne, en prévoyant que les salariés dont le contrat est suspendu par un arrêt de travail continuent d’acquérir des droits à congés quelle que soit la cause de cet arrêt (professionnelle ou non professionnelle). Les salariés en arrêt de travail pour un accident ou une maladie d’origine non professionnelle pourront ainsi acquérir des congés payés, au rythme de deux jours ouvrables par mois, soit quatre semaines par an.
Le même amendement instaure un droit pour les salariés au report des congés qu’ils n’ont pu prendre en raison d’une maladie ou d’un accident. Fixé à 15 mois en cohérence avec la jurisprudence de la CJUE, ce délai de report court à compter de l’information que le salarié reçoit de son employeur, postérieurement à sa reprise d’activité, sur ses droits à congés.
L’amendement prévoit que ces règles d’acquisition et de report des droits à congés s’appliquent depuis le 1er décembre 2009. Il introduit un délai de forclusion de deux ans à compter de la publication de la loi, qui s’impose au salarié qui souhaiterait introduire une action en exécution du contrat de travail pour réclamer des congés qui auraient dû être acquis au cours de périodes d’arrêt maladie depuis le 1er décembre 2009.
AVIS DU CONSEIL D'ETAT DU 13/03/2024
DISCUSSION
Chacune des trois administrations publiques (Etat-Collectivités-Hospitalier) a réagi dans un premier temps par la parution d'une circulaire visant à demander aux employeurs publics d'appliquer systématiquement le report de congés aux agents ayant été soit :
- Congé de maladie ordinaire
- Congé de longue maladie
- Congé de longue durée
- Accident de travail
Le report est automatique et n'a pas à être sollicité par l'agent.
Cependant les circulaires restent muettes sur les conditions de versement de l'indemnité compensatrice si l'agent n'est pas en mesure de reprendre son service en raison d'une mise à la retraite invalidité par exemple.
La démission d'un agent ne peut bénéficier de l'indemnité de compensation.
Si la règle de report semble avoir été bien intégrée par les administrations, force est de constater la difficulté d'application de la règle de compensation financière dans l'éventualité où l'agent est dans l'impossibilité de prendre ses congés en raison d'une rupture de la relation de travail (article 7 directive européenne.
Dans les jugements européens en 2009 il est précisé qu'une interdiction de paiement de congés annuels non pris est contraire à l'article 7 de la directive européenne 2003 susvisée lorsqu'elle a pour objet de priver un agent public qui ne se trouvait pas dans la possibilité d'exercer son droit à congé reporté.
Ces dispositions ont par ailleurs été reprises dans la jurisprudence du TA d'Orléans qui précise dans ses considérants que l'extinction du droit à congé annuel à l'expiration d'une période de congé maladie est contraire au droit européen.
De façon générale la jurisprudence européenne et administrative dit pour droit:
- L'article 7 de la directive européenne s'applique aux fonctionnaires
- Le fonctionnaire a droit, lors de son départ à la retraite, à une indemnité financière pour congé annuel payé non pris du fait qu'il n'a pas exercé ses fonctions pour cause de maladie (arrêt du 3 mai 2012-C-337/70 -lien ci-dessous)
- Les employeurs publics peuvent adopter des dispositions (par délibération) portant à limiter à 4 semaines le droit à paiement en ce qui concerne les congés supplémentaires.
MODALITES DE CALCUL DE L'INDEMNITE DE COMPENSATION DES CONGES PAYES
La jurisprudence européenne fait part que le droit à congé minimal peut être la règle à condition qu'une décision ait été prise en ce sens par l'employeur sous la forme d'une délibération par exemple pour une collectivité. Ceci laisse donc entendre qu'à défaut de ce type de décision, c'est le nombre de jours réels à congés annuels auxquels peut prétendre l'agent.
Cependant, sur la base de la décision de la jurisprudence d'Orléans, c'est l'Indemnisation de 20 jours par an (4 semaines annuelles garanties par la directive) sur la période de référence d'arrêt maladie qui a été retenue.
Le calcul se réalise soit sur la base du dernier salaire de base détenu par l'agent (solution retenue par le rapporteur public dans la jurisprudence du TA d'Orléans), soit sur la base brute annuelle pour chaque période de référence (solution pour les agents contractuels-article 5 décret 88-145).
La base brute s'entend avec les primes, le supplément familial de traitement, la NBI...
La période de référence peut être limitée entre 15 et 18 mois avant la cessation de fonction suivant la délibération prise par l'assemblée, après avis du comité technique paritaire.
A défaut d'une délibération, le droit à congé payé doit prendre en compte l'ensemble de la période d'arrêté maladie ainsi que le solde du compte-épargne temps éventuel, dans le décompte, déduction faite des congés annuels déjà pris.
Exemple (cité par le CDG des Pyrénées-Atlantiques):
Un agent placé en congé maladie du 1er octobre 2009 au 31 mars 2011 :
Pour l'année 2009 : report du solde des congés non pris
Pour l'année 2010 : report de 20 jours
Pour l'année 2011 : report de 3/12ème soit 5 jours
Une personne placée en congé longue maladie a droit à 60 jours.
NOS CONSEILS
Avant d'exercer un recours pour excès de pouvoir auprès du Tribunal Administratif, il est nécessaire d'introduire au préalable un recours hiérarchique à son employeur par voie de recommandée avec accusé-réception en rappelant les textes et la jurisprudence en vigueur, et en y joignant un décompte des jours de congés annuels non pris sur base du régime des congés mis en place par l'employeur et le solde du compte-épargne temps éventuel.
Une décision de refus d'accorder à un agent public ses congés payés doit être motivée suivant le Conseil d'Etat -362940 du 26 décembre 2013.
INFORMATIONS PRATIQUES SUR l'INDEMNITE COMPENSATRICE DE CONGES PAYES :
https://eur-lex.europa.eu/lexuriserv/lexuriserv.do?uri=oj:l:2003:299:0009:0019:fr:pdf Directive européenne
arrêt c-360/06- cjue - du 20 janvier 2009
arrêt C-520/06 -CJUE -du 20 janvier 2009 https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=69928&pageindex=0&doclang=fr&mode=lst&dir=&occ=first&part=1&cid=423090
arrêt C-337/10 CJUE du 3 mai 20012 https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=122390&pageindex=0&doclang=fr&mode=lst&dir=&occ=first&part=1&cid=423127
circulaire du 8 juillet 2011 https://circulaire.legifrance.gouv.fr/pdf/2011/07/cir_33470.pdf
LIENS CONNEXES
droits à congés