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DGS : gestionnaire de la complexité de l’action publique locale ! entretien avec Philippe Mocellin Partie 1

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06/10/2024
Fiche pratique n° 2304

 

 

 

 

 

Entretien avec Philippe MOCELLIN, Directeur Général des Services de la Ville de Perpignan
« DGS EMPLOI - COLLECTIVITES » - mars 2024

DGS : gestionnaire de la complexité de l’action publique locale ! -Partie 1/2

Emploi-Collectivités : Plus de trois ans après votre prise de fonction, quel bilan ? Quel regard ?
Ph. MOCELLIN : Toujours difficile de procéder à une forme « d’auto-évaluation » d’une action en cours mais exercice néanmoins utile..., à ce stade de la mandature.
A l’instar de bien d’autres collègues, je fais un constat évident : les communes sont en première ligne de l’action publique locale... !

Elles l’ont été au moment de la pandémie de COVID-19 et elles le sont - dans un environnement économique « calamiteux » - au quotidien, parce que désireuses de répondre, dans les meilleures dispositions, aux attentes légitimes de leurs concitoyens.

« Premier recours, dernier espoir... ! » : cette formule choisie résume bien le positionnement d’aujourd’hui des Maires et de leurs administrations.
Dans ce contexte, la fonction de Directeur Général des Services a elle-même évolué...

Celui-ci se doit d’être, tout à la fois, disponible pour ses collègues de l’administration, à l’écoute des administrés, demandeurs d’un service public de qualité et bien entendu, d’abord, le collaborateur direct du Maire, avec l’appui de son équipe municipale.
Le champ de ses responsabilités s’est en effet élargi... : modes de vie en mutation, révolution numérique, interdépendance des politiques territoriales et multiplicité des acteurs, autant d’éléments qui ont contribué à complexifier la tâche...

Le directeur général des services demeure, en lien étroit avec le Maire, le pilote de l’administration et donc à même d’accompagner les agents dans les changements organisationnels qui s’imposent. Mais il est, de plus en plus, attendu sur des missions stratégiques, appelé à aider à la construction de
partenariats et à être force de proposition dans la mise en œuvre de grands projets d’aménagements
intéressant le devenir du territoire.

La ville de Perpignan n’échappe pas à cette évolution de plus en plus exigeante... et ce, d’autant plus, que celle-ci a été, toutes ces dernières années, quelque peu délaissée, ayant entraîné, en dépit d’atouts géostratégiques et patrimoniaux reconnus, son déclassement...
Il ne s’agit pas d’entretenir une polémique stérile à ce sujet mais bien de rendre compte d’un constat,
largement partagé par les « forces vives » de notre ville...

Le dernier diagnostic social élaboré en vue de la négociation de la nouvelle génération du « contrat de ville » est, à cet égard, éclairant : neuf quartiers prioritaires dans lesquels vivent près d’un quart de la population perpignanaise et où plus de 56 % des ménages vivent sous le seuil de pauvreté.... Et alors que dans certains d’entre eux, le chômage des 16-25 ans atteint des taux très élevés...
Selon les chiffres publiés par l’INSEE, le 29 janvier 2024, le niveau de vie médian au sein du département
des Pyrénées Orientales est inférieur à 22 000 euros.

A cela s’ajoute la présence de nombreuses « poches » d’habitat insalubre, notamment en centre ancien de notre ville et - héritage du passé - un sous-investissement public chronique, associé, du reste, à un mauvais entretien de nos équipements, qui nécessite aujourd’hui une politique de « rattrapage » pesant très lourdement dans le budget de la collectivité.
Riche de son histoire et de ses traditions, notre belle cité catalane a été victime, depuis les années 1970, d’un urbanisme « mal maîtrisé », couplé à un « cœur de ville », concurrencé par l’implantation de zones commerciales excentrées et par d’autres communes périphériques en matière d’offre d’habitat.

Cette tendance perdure malheureusement, au regard de décisions récentes, concernant, par exemple, l’installation d’enseignes dans des secteurs de chalandise qui rayonnent bien au-delà du territoire d’accueil et donc, au détriment des commerces de notre ville et de l’agglomération, non sans conséquence sur l’emploi et l’activité économique.

Face à cette réalité, je ne peux que souligner les choix courageux de notre Maire qui n’a eu de cesse, depuis son élection en 2020, de vouloir corriger cette trajectoire du déclin, en impulsant une nouvelle dynamique, fondée sur trois piliers essentiels : la sécurité, la propreté et l’accès au service public....

A savoir : une présence en continu 24H/24, 7j/7 de nos policiers municipaux et la restructuration des différentes unités d’intervention, dont celle qui mène, plus spécifiquement, en collaboration avec la Police nationale, une lutte, sans relâche, contre les trafics et les points de deal, source de désordre et « carburant » de la délinquance ; un entretien renforcé de nos espaces urbains par la réorganisation du travail de nos équipes sur le terrain et le renouvellement du parc roulant de nettoiement ; et une offre de service, au plus près du domicile de chacun, par l’intermédiaire de nos mairies-annexe et dont l’action a été démultipliée par l’ouverture de trois Maisons « France services ».
En clair, faire de la proximité, le « fil rouge » d’une politique de reconquête d’image...

Avec la même préoccupation et sur un autre registre, la « nature » a aussi fait son retour dans la ville, au travers, par exemple, de la plantation de 14 000 arbres et d’un programme de végétalisation de nos espaces publics et de nos cours d’écoles.
Une politique d’investissement a également été réamorcée et qui a permis le financement, depuis 2020, de nouveaux aménagements de qualité et d’infrastructures publiques.
Elle a concerné tous les secteurs du champ municipal, en lien direct avec les grandes orientations du plan de mandat 2020 – 2026.
En 2024, seront notamment lancées : la construction d’une médiathèque de quartier, l’aménagement d’un espace sportif en cœur de ville, l’extension d’un groupe scolaire, la création d’une halte-garderie, la réalisation d’un centre d’entraînement à destination de clubs professionnels et d’une nouvelle tribune de stade ou encore la requalification d’une rue « commerçante », objet d’une politique de revitalisation...

C’est au total un programme d’investissement d’un montant de 54 millions d'euros qui sera ainsi décliné pour l’année en cours, résolument orienté en faveur de l’attractivité de notre ville, la qualité de vie dans nos quartiers et autour de priorités d’avenir.


Emploi-Collectivités : La ville de Perpignan a obtenu, en 2023, un soutien de l’Agence Nationale de Rénovation Urbaine (ANRU) en faveur d’un nouveau programme national de requalification (NPNRU) au sein de 3 quartiers prioritaires, qu’en est-il ?
Ph. MOCELLIN : Il est à signaler tout d’abord que le programme de rénovation urbaine, initialement inscrit dans le cadre d’une convention signée, le 9 janvier 2020, avec l’ANRU, intéressant trois de nos quartiers prioritaires, - Saint Jacques, en centre historique, le Champ de Mars et la Diagonale du Vernet - s’est avéré infaisable techniquement et financièrement.
A la fois trop ambitieux sur le plan du périmètre à rénover, tout particulièrement sur Saint Jacques et alors que la Ville ne maîtrisait que très partiellement le foncier, arme absolue pour la conduite d’un chantier de rénovation de cette envergure....
Après tant d’années d’immobilisme, l’exécutif municipal a donc réagi et a engagé, à partir de 2022, le redressement total du projet urbain, appuyé, en cela, par l’ANRU et ayant consisté à recalibrer les montages financiers, du fait du classement de notre centre ancien, en secteur sauvegardé qui engendre des surcoûts en matière d’habitat.
Cet important travail collectif et partenarial a abouti, en septembre 2023, à la validation, par l’ANRU, d’un nouvel avenant à ce projet de requalification global et à un soutien financier, aux côtés de la Ville, de la Communauté Urbaine, du Conseil Régional et du Conseil départemental et de nos bailleurs sociaux, à hauteur de 59,1 millions d’euros, dans la perspective du traitement d’ilots « ciblés » , de la production de 540 logements sociaux et la réalisation de onze opérations d’aménagements d’espaces publics.

Je me permets de souligner ici que la totale mobilisation de nos équipes techniques, de novembre 2022 à juin 2023, a finalement payé et parce que « boostée » par un portage politique sans faille de notre Maire, de son adjoint, en charge du dossier et de l’ensemble des adjoints directement concernés.

J’en tire, à cette heure, quelques enseignements sur la gestion de la complexité…

En premier lieu, la capacité de notre propre administration à réformer ses propres pratiques, en mettant fin à un cloisonnement technocratique, source de paralysie dans la gouvernance du projet.

Il s’est alors agi de créer une mission dédiée, rassemblant toutes les compétences internes, par le biais de la constitution d’une « équipe projet » multidisciplinaire.

Si simple et évident en apparence, cette nouvelle donne demeure encore originale dans nos administrations, provoquant un début de « révolution culturelle… » !

En second lieu, l’impulsion, avec l’appui d’outils opérationnels, d’un travail partenarial « gagnant gagnant », ayant permis de « fédérer » tous les partenaires institutionnels mais aussi la CAF, Action Logement et la Banque des territoires, au travers d’instances techniques et d’un comité de Pilotage stratégique, co-présidé par le Préfet et le Maire.

En troisième lieu, la volonté affichée d’articuler différentes politiques publiques, en combinant la requalification urbaine avec un programme global de lutte contre l’habitat indigne et une action de revitalisation commerciale d’un axe « central », en écho aux orientations prévues par le dispositif « Action Cœur de Ville ».

L’enjeu est à la fois de jouer sur le volet incitatif des aides de l’ANAH et sur un registre plus coercitif, par la mise en oeuvre du dispositif du « permis de louer » et de mesures légales d’insalubrité et de « périls ».

Et d’engager, par ailleurs, la reconquête des commerces vacants, par l’intermédiaire d’une déclaration d’utilité publique, en attendant la création d’une « foncière commerciale », véritable outil de portage dont notre ville a besoin.

L’ambition est bien de renouveler l’approche de l’action publique au travers trois mots clé : transversalité entre les services, mobilisation de tous les partenaires du territoire et cohérence dans la déclinaison des politiques municipales.

Emploi-Collectivités : Ce nouveau programme de requalification bénéficie aussi d’un « volet » social… ?

Ph. MOCELLIN : En effet, ce « volet » social, encore inexistant en 2022, doit être pourtant considéré comme la clé de voute d’un tel plan de rénovation du bâti.

Ce « volet » spécifique comprend trois axes forts.

Un premier axe autour du relogement des familles concernées par les démolitions-reconstructions.

Un Comité de relogement, réunissant tous les partenaires impliqués et aidé par une mission de maîtrise d’œuvre urbaine et sociale, explorera toutes les solutions possibles.

Un second axe intéresse les actions d’accompagnement, menées en déclinaison des orientations du contrat de ville 2024 – 2030 et ceux arrêtés au titre de la convention territoriale globale, négociée avec la direction de la CAF.

Il s’agit d’engager nos structures de quartier dans la préparation d’un plan d’action coordonné, donnant « corps », à ce « volet » social, notamment en matière de réussite éducative, d’insertion professionnelle, de lutte contre la fracture numérique, d’accès à la culture, à la pratique sportive, aux soins de premier recours et à la prévention des « conduites à risque », en lien avec l’activité de notre centre de santé municipal et les dispositifs relevant du Contrat Local de Santé (CLS).

Et enfin un troisième axe qui touche à la concertation avec les habitants visant, pour chaque quartier, à régénérer les démarches, dites « participatives ».

A été ainsi créée une Maison du Projet, lieu central d’information permanent sur Saint Jacques et un rendez-vous par mois avec la population, dans chacun des quartiers concernés, alternant : une déambulation, un atelier consultatif général et un atelier thématique, supposant une implication des habitants en tant « qu’usagers » sur des questions touchant à la vie quotidienne : sécurité, propreté, santé…

Repenser la communication avec les habitants… : tel est notre objectif.

En ce domaine, il est plus que nécessaire de dépasser la simple bonne volonté, en s’appuyant sur des initiatives diversifiées et des actions dites « aller vers », appelées à favoriser la participation des citoyens et plus particulièrement des plus jeunes, trop peu présents au sein des instances participatives.

Aller au-delà du formalisme habituel et de la présence d’associations et de citoyens déjà engagés, en facilitant une expression libre et l’émergence de solutions autour de projets concrets.

Emploi-Collectivités : Pouvons-nous dire également que toutes ces démarches s’engagent, au moment même où la « politique de la ville » est réinterrogée dans ses objectifs et ses attendus ?

Ph. MOCELLIN : Il est vrai que depuis plus de trente ans et en dépit des efforts déployés en faveur des quartiers prioritaires, ces territoires urbains concentrent encore d’importantes difficultés socio économiques, non sans lien, en prenant un peu de recul, avec l’accroissement de diverses formes de précarité sociale et avec la gestion, sur une longue période, des flux migratoires.

Nous le savons : le communautarisme et ses dérives s’installent, avec pour conséquence, une « archipélisation » de la société française, comme le souligne Jérôme Fourquet, dans son dernier tableau politique des grandes mutations sociologiques de notre pays1.

Dès lors, agir dans ces quartiers et alors que les rapports d’experts s’accumulent, c’est d’abord rétablir l’équité territoriale, au nom de la République française et de ses valeurs.

La priorité est de mieux coordonner les actions de sécurité publique et celles relevant de la politique pénale et de façon plus globale et en parallèle, mieux articuler les initiatives menées par les institutions publiques et les associations, bien trop souvent désynchronisées…

Les acteurs locaux s’accordent en tout état de cause sur le fait que les programmes de rénovation urbaine ne peuvent se suffire en eux-mêmes à transformer les quartiers en difficulté, si ceux-ci ne sont pas accompagnés d’un travail social, donnant de réelles perspectives à tous les habitants.

Notre ville a notamment souhaité, dans cet esprit, donner un cadre d’action renouvelé à ses maisons de quartiers, renommées, plus que symboliquement, « espaces citoyens » et en faire, au cœur de ses neuf quartiers prioritaires, de vrais lieux d’apprentissage de la citoyenneté et de promotion de la laïcité.

Il est alors question d’un côté, de réaffirmer les valeurs du « socle républicain » et d’assurer une mission de transmission, centrée, notamment, sur la maîtrise de la langue française, le soutien scolaire, la mémoire, l’éducation civique et d’un autre, proposer des démarches pédagogiques autour des dispositions prévues par la Loi du 9 décembre 1905.

Menacée dans ses fondements, au travers de l’effacement des modèles nationaux et de la montée de la contestation des lois de la République française, la laïcité est plus qu’une disposition juridique, c’est d’abord un fondement philosophique, une référence pour la construction d’une citoyenneté authentique et un véritable repère pour l’action publique.

Le Conseil Municipal a adopté, en date du 10 mai 2023, la création d’une commission extra-municipale, intitulée « valeurs républicaines, citoyenneté et laïcité », expression de cet engagement.

Parmi d’autres initiatives, ladite commission a élaboré une charte de la laïcité en huit articles, orientés vers la lutte contre le prosélytisme et l’endoctrinement spirituel, la prévention de tout phénomène de pression et de rejet de l’autre mais aussi le respect, par les associations bénéficiant de subventions publiques, d’un « contrat d’engagement républicain », qui doit garantir, en référence au décret du 31décembre 2021, la liberté de conscience et l’accueil de toutes et tous.

Au-delà de ces orientations, les « espaces citoyens » sont également appelés à prendre leur part dans l’animation du « volet » social du NPNRU et des actions du contrat de ville et ceci en lien étroit avec les associations partenaires, les établissements scolaires, les bailleurs sociaux et nos animateurs jeunesse, au travers des initiatives conduites par les « Espaces Adolescence Jeunesse », notamment en matière

d’apprentissage à la citoyenneté et d’accompagnement à l’emploi.

Des liens sont également établis avec les unités de prévention de la police municipale et tout particulièrement avec l’équipe de nos médiateurs sociaux, entièrement reconstituée dès le début de la mandature.

A cet égard, face à la complexité administrative, à l’évolution des relations sociales et aux méfiances grandissantes, voire à la perte de confiance, vis-à-vis des institutions publiques, l’action de médiation du quotidien prend en effet tout son sens…

(1) Cf Jérôme FOURQUET-la France d'après-Seuil 2023

Si les balbutiements de la médiation urbaine remontent aux années 1980, ces pratiques sont très récentes dans les administrations de nos collectivités locales et cherchent encore le chemin de l’institutionnalisation.

Fondée sur une déontologie obligeant tout médiateur de rue, à la discrétion et à l’impartialité, celui- ci permet, selon les contextes et les missions que la collectivité souhaite privilégier, d’assurer une présence et une réelle fonction « d’interface » et de dialogue entre les usagers du service public, les familles ou encore les parents d’élèves… et les institutions publiques.

L’enjeu actuel - notre collectivité n’y déroge pas - est de consolider la qualité du service rendu, de développer les compétences et in fine, professionnaliser les missions et les protocoles d’intervention et de faire reconnaître, à part entière, ce métier spécifique, au sein de la fonction publique territoriale.

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